Bonjour...
Vous vous souvenez de moi?
Non?
Rappelez-vous...
Une petite boule de chair et de piquants... L'autre jour, vers deux
heures du matin, sur la départementale 124... Mais si... Vous m'avez vu
un instant dans la lumière de vos phares, et vous avez même entendu le
bruit de mes entrailles éclatant sous le poids de vos roues.
Oui...
Je suis le petit hérisson que vous avez écrasé, sans un remords... Le
petit hérisson qui a agonisé de longues heures sur le bitume glacial,
en regardant ses propres organes répandus... Le petit hérisson qui est
mort un peu avant l'aube, après qu'une autre voiture lui est passée
dessus.
Je suis le petit hérisson écrasé, vidé de ses tripes,
par un conducteur à moitié ivre, roulant à 130 km à l'heure sur la
départementale 124. Je suis le petit hérisson qui ne demandait rien
d'autre que de traverser en paix cette route pour rejoindre sa famille.
Je suis le petit hérisson assassiné, supplicié.
Vous n'avez
pas eu la moindre pensée compatissante pour mon calvaire, ma douleur,
pour tout ce que j'ai ressenti... La mort, l'idée que je ne reverrai
jamais mes petits, mes petits que vous écraserez un jour de la même
manière.
Peut-être l'avez-vous fait exprès... Par plaisir.
Vous rêvez de faucher un enfant sur un passage clouté, de percuter un
landau, mais vous n'osez pas. Vous avez peur de la justice des hommes.
Alors, vous écrasez les hérissons.
Mais vous ignorez que les hérissons ont leur propre justice, et qu'elle vaut bien celle des hommes.
J'habite
à présent votre voiture. J'habiterai toutes vos voitures. Et ma voix,
mes cris, retentiront jusqu'à vous rendre fou. Un jour, vous perdrez le
contrôle, et finirez contre un arbre, les jambes brisées, le visage
arraché.
Vous souffrirez comme j'ai souffert.
Et la mort ne viendra pas vous délivrer. Car les hommes soignent leurs blessés. Ils vous soigneront.
Et dans votre fauteuil roulant, vous m'entendrez encore.